Le kitsch est plus qu’un simple goût pour l’excès ou les artifices : il est un miroir déformant de nos désirs, un espace où la quête de beauté se heurte à l’illusion. Dans son essence, le kitsch rejette la complexité et les contradictions de la vie au profit d’un idéal simplifié, émouvant, presque naïf. Milan Kundera, dans L’insoutenable légèreté de l’être, le décrit comme « la négation absolue de la laideur », c’est-à-dire une tentative d’éliminer tout ce qui dérange ou contredit notre vision du monde. Il s’agit d’une esthétique qui sublime la vie en effaçant ses aspérités, ses doutes et ses vérités inconfortables.
Dans cette optique, le kitsch ne se limite pas à une esthétique visuelle ou culturelle ; il devient une attitude existentielle. En idéalisant ce qui est beau, pur et harmonieux, le kitsch nie la gravité de l’existence et choisit une légèreté trompeuse, celle qui refuse la profondeur. Pourtant, cette légèreté, Kundera nous le rappelle, a un coût : elle sacrifie l’authenticité et la réalité sur l’autel de l’apparence.
Dans le contexte marocain, le kitsch prend une dimension fascinante, mêlant traditions ancestrales et modernité. Le kitsch marocain devient alors un terrain d’exploration de cette tension entre authenticité et artifices; vision et réalité.
Lorsqu’il est mis en lumière à travers des faits comme l’organisation de la Coupe du Monde et d’autres challenges de la vie du marocain, le kitsch marocain révèle une dynamique complexe. Comme le souligne Kundera, le kitsch choisit la légèreté et l’harmonie au détriment de la contradiction et de la profondeur.
Cependant, le kitsch n’est pas une fatalité. Il peut aussi être un point de départ pour réfléchir aux priorités réelles et aux aspirations profondes d’une société, et pour transformer cette quête de grandeur en un projet inclusif et durable.
Le Maroc est en mouvement. À bien des égards, il progresse à un rythme soutenu, se modernise et s’impose comme un acteur incontournable sur la scène africaine. L’organisation de la Coupe du Monde 2030 est une preuve éclatante de cette montée en puissance : elle témoigne d’un savoir-faire, d’une ambition, et d’une capacité à rivaliser avec les grandes nations. Les infrastructures se développent, les projets d’envergure se multiplient, et l’image du pays ne cesse de se renforcer.
Mais ce progrès, aussi réel soit-il, ne doit pas être phagocyté par le kitsch. Le danger du kitsch, tel que décrit par Milan Kundera, est qu’il nous enferme dans une vision idéalisée, où seules les belles images comptent, où le récit flatteur prend le pas sur la réalité. Dans L’insoutenable légèreté de l’être, Kundera montre comment le kitsch communiste imposait une image figée d’un bonheur collectif, occultant les failles et empêchant toute remise en question. Ce « déni des excréments », comme il l’appelle, est un mécanisme qui évacue toute dissonance pour ne conserver qu’un idéal lisse et rassurant. De la même manière, le Maroc doit veiller à ne pas tomber dans un kitsch nationaliste, où la mise en scène du succès masquerait les défis persistants.
Le kitsch peut être un piège lorsqu’il empêche l’autocritique, lorsqu’il transforme les succès en écrans de fumée masquant les défis à relever. Car derrière les grands événements et les projecteurs braqués sur le Maroc, il reste des questions fondamentales : comment assurer un avenir à la jeunesse ? Comment transformer les investissements en un réel levier d’inclusion sociale ? Comment éviter que l’euphorie du moment ne nous fasse oublier les réformes structurelles nécessaires ?
Le Maroc ne doit pas tomber dans cette facilité. Il avance, et c’est une bonne chose. Mais pour que ce progrès soit réel et durable, il faut veiller à ce que le kitsch ne prenne pas le dessus sur l’action, que l’image ne remplace pas le fond, et que la mise en scène ne supplante pas la transformation profonde. C’est à cette condition que la dynamique actuelle portera ses fruits et que le pays pourra conjuguer ambition et lucidité.
Le Maroc avance, et c’est une réalité incontestable. Son développement, son rayonnement international et ses ambitions sont autant de signes d’un pays qui se transforme et qui cherche à s’imposer comme une puissance régionale. Mais cette ascension ne doit pas être façonnée par une quête d’image qui occulte les défis profonds.
Comme le souligne Abdellah Tourabi (qui est pour moi un des plus grands journalistes marocains) avec l’analogie du salon marocain, il ne suffit pas de maintenir une façade impeccable pour convaincre ; c’est l’ensemble de la maison qui doit être en ordre. Dans de nombreuses familles marocaines, le salon est la pièce la plus soignée (souvent intouchables des habitants) de la maison, préservée pour impressionner et accueillir les invités, tandis que le reste du foyer peut être laissé dans un état moins présentable. De la même manière, il existe un risque de construire un Maroc qui brille sous les projecteurs de la Coupe du Monde, tout en laissant dans l’ombre des réalités plus complexes, comme un chômage élevé ou des inégalités persistantes.
Si l’on veut un Maroc fort, il faut un Maroc lucide.
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