Les conflits d’intérêts, principal défi du Maroc ?

Le conflit d’intérêt n’est pas lié qu’à une question organisationnelle ou juridique. Pour moi il révèle une tension profonde de la nature humaine et constitue aujourd’hui, un obstacle majeur au développement du Maroc. Les philosophes classiques ont exploré cette dualité. Selon Hobbes, l’homme est par nature égoïste et en conflit avec ses semblables, résumé par l’expression l’homme est un loup pour l’homme. À l’inverse, Rousseau défend une vision plus optimiste, affirmant que l’homme est naturellement bon, mais que la société et ses institutions le corrompent. Dans cette perspective, Jeremy Bentham propose une lecture pragmatique de l’égoïsme humain. Pour lui, l’homme agit naturellement pour maximiser son plaisir et minimiser sa douleur. L’utilitarisme (la théorie que défend Bentham) devient alors un cadre permettant de canaliser cet égoïsme vers le bien collectif. Pour lui, chaque action doit être évaluée selon sa capacité à produire le plus grand bonheur pour le plus grand nombre. Dans Déontologie ou Science de la Morale, (que j’ai lu après avoir écouté l’excellent podcast du précepteur sur l’égoïsme que je vous invite à écouter, lien : https://www.youtube.com/watch?v=2c6jMZr6-Jc&t=22), Bentham insiste sur le rôle des institutions pour aligner intérêt individuel et intérêt collectif. Cela me fait penser aussi à la main invisible d’Adam Smith.

Or, au Maroc, le conflit d’intérêt apparaît comme le véritable frein à l’avancement. Nous sommes aujourd’hui dans une période d’opportunité, d’exposition et d’expansion économique et sociale. Mais sous l’influence de mauvaises pratiques, de dirigeants ou de gouvernements qui privilégient l’intérêt personnel au détriment de l’intérêt collectif, ces opportunités risquent d’être gaspillées. L’égoïsme non régulé détourne des ressources, ralentit les réformes et mine la confiance sociale, transformant ainsi un potentiel historique en occasion manquée.

Comment le conflit d’intérêt nous fait perdre des opportunités ?

Prenons le cas hypothétique d’un terrain destiné à la construction d’un hôpital public, un projet pensé pour servir les générations futures et contribuer au bien commun. Ce terrain pourrait malheureusement être détourné au profit d’une clinique privée, si une personne influente dans le processus décisionnel possède des parts dans cette clinique ou a un intérêt personnel à ce que le projet change de nature.

Autre exemple : la décision de ne pas construire de parkings souterrains dans une zone urbaine, non pas pour des raisons techniques ou budgétaires, mais parce qu’un acteur influent détient des parkings privés à proximité et souhaite préserver son monopole.

On peut aussi imaginer qu’un terrain prévu pour accueillir des bâtiments à vocation économique soit finalement attribué à un groupe de construction pour y ériger un centre commercial, en raison de relations privilégiées ou d’intérêts croisés.

De même, la construction d’établissements scolaires privés peut être favorisée au détriment d’écoles publiques, compromettant ainsi l’accès équitable à l’éducation.

Enfin, dans un scénario encore plus préoccupant, une loi de finances pourrait être modifiée pour introduire des avantages fiscaux ou des subventions ciblées, non pas dans l’intérêt de la population, mais pour favoriser certains groupes ou individus.

Ces exemples, bien qu’imaginaires bien sûr, illustrent comment des opportunités porteuses pour la nation peuvent être compromises lorsque les décisions sont influencées par des conflits d’intérêts entre l’intérêt général et des objectifs d’enrichissement personnel.

Les conflits d’intérêts peuvent également se manifester par l’utilisation ou la détention d’informations à des fins personnelles. Ce qu’on appelle le délit d’initié et qui constitue lui aussi un frein au développement. En permettant à certains acteurs de tirer profit d’informations privilégiées au détriment des autres, il engendre de l’injustice, fragilise la confiance et détourne des ressources qui pourraient bénéficier à l’économie dans son ensemble.

Au Maroc, cette problématique est particulièrement préoccupante. Il s’agit d’un véritable défi, car elle touche à la fois à la gouvernance, à l’efficacité des institutions et à la capacité du pays à transformer ses ressources et son dynamisme en un développement durable et équitable.

Mais comment peut-on maîtriser ce phénomène ? Il est essentiel que l’écosystème soit résolument opposé à ce type de pratiques, et qu’une autorité forte, indépendante et dotée de moyens conséquents soit en place pour les prévenir et les sanctionner. Ma crainte,  est que la contagion soit déjà bien avancée.

 Ce que je propose :

  • Le Renforcement de l’écosystème réglementaire : Il est impératif d’adopter des lois claires et dissuasives sur les délits d’initiés, les conflits d’intérêts et la transparence. Ces lois doivent être appliquées sans compromis, et les sanctions exemplaires rendues publiques pour créer un effet dissuasif durable. Pour cela, le conseil de concurrence doit avoir le plein pouvoir sous réserve que celui-ci aussi ne soit partenaire de ces délits.
  • Création ou consolidation d’une autorité indépendante : Je fais la transition du dernier point à celui-ci pour une autorité de régulation forte, indépendante et bien dotée. Elle doit disposer de véritables pouvoirs d’enquête, de contrôle et de sanction, sans interférence politique ou économique. Cela est un droit constitutionnel et nous devons avoir cette instance. J’ai fait exprès de ne pas mentionner l’instance actuelle, car pour moi, elle doit aussi être renforcée et aidée.
  • Protection des lanceurs d’alerte, des journalistes et intellectuels ainsi qu’une transparence accrue: Il faut encourager les signalements internes et externes en assurant une protection juridique solide aux lanceurs d’alerte. Des canaux anonymes et sécurisés doivent être mis en place pour faciliter les dénonciations. En parallèle, la transparence des processus de décision, des appels d’offres et des nominations doit être renforcée, en s’appuyant sur une presse libre et des ONG actives dans le suivi de la gouvernance. Tout en maintenant la loi. Il ne faut pas non plus diffamer ou ramener les dirigeants dans un tribunal médiatique. Ces libérations de paroles a pour but d’initier les enquêtes bien sûr, et non prendre leurs alertes comme vérités afin d’éviter les dérives.

Bien entendu, ces leviers ne peuvent produire leurs effets sans être accompagnés de deux dimensions tout aussi fondamentales.

La première est l’éducation citoyenne. Il est crucial de sensibiliser la population à l’impact des pratiques illégales sur le développement, et de construire une véritable intolérance sociale envers ces comportements. Pour que le changement soit durable, l’écosystème doit devenir allergique à ces dérives, les rejeter naturellement, et ne plus les tolérer comme des fatalités.

La seconde est la culture d’intégrité au sein des institutions. Cela passe par la formation des cadres, à l’éthique professionnelle et à la gestion des conflits d’intérêts. Il faut également instaurer des mécanismes clairs et obligatoires de déclaration des intérêts personnels, afin de prévenir les situations à risque avant qu’elles ne se produisent.

Se prémunir contre les risques de conflits d’intérêts et de pratiques opaques exige une stratégie globale, combinant cadre légal robuste, institutions indépendantes, culture d’éthique et participation citoyenne. Cette approche est essentielle pour que le Maroc puisse saisir pleinement les opportunités des cinq prochaines années et consolider sa trajectoire post-2030.

Le gouvernement marocain qui sera en fonction pendant l’organisation de la Coupe du Monde 2030 et qu’on qualifie déjà de « gouvernement du Mondial » aura comme défi majeur sera de concrétiser les opportunités offertes par cet événement historique. Au-delà du spectacle sportif, il devra transformer les investissements massifs dans les infrastructures, le tourisme et l’hôtellerie en bénéfices durables pour l’économie nationale. La réussite de cette stratégie dépendra de sa capacité à coordonner efficacement les acteurs publics et privés, à garantir la transparence et à limiter les conflits d’intérêts ou le recours à des pratiques telles que le délit d’initié. Sans une gouvernance solide et une vision à long terme, les ressources mobilisées risquent de produire des gains ponctuels mais éphémères, laissant passer l’occasion de structurer durablement le développement économique et social du pays.

Dans ce contexte, le rôle du citoyen est crucial pour faire face à ceux qui utilisent le pouvoir à des fins personnelles ou pour servir des intérêts privés au détriment de l’intérêt général. En participant activement aux élections de 2026, les citoyens peuvent influencer la composition des institutions et promouvoir des dirigeants et des politiques qui incarnent la transparence, la probité et la responsabilité.

Le vote devient ainsi une manière concrète de limiter l’emprise des réseaux d’intérêts et de renforcer une gouvernance démocratique, essentielle pour garantir que les opportunités de développement profitent à l’ensemble du pays et non à une minorité privilégiée.

Mais au-delà du vote, il est indispensable d’encourager la parole citoyenne. Chacun doit pouvoir demander des comptes, exiger des explications, réclamer des rapports sans diffamation bien sûr. C’est notre rôle, et c’est aussi celui de ceux que nous choisissons .

Et en 2026, nous avons une opportunité : celle de choisir un gouvernement plus communicant et plus transparent. Ce choix ne concerne pas seulement notre présent, mais aussi l’avenir des générations à venir.

Pour conclure, Le principal risque vient du fait que certaines personnes occupant des postes de pouvoir ou influentes dans les affaires pourraient utiliser ces opportunités pour servir leurs intérêts personnels plutôt que l’intérêt collectif. Les conflits d’intérêts et les délits d’initié deviennent alors non seulement une question morale, mais un véritable obstacle au développement, détournant des ressources et ralentissant les projets stratégiques, y compris ceux liés à la Coupe du Monde 2030. Pour s’en prémunir, il est indispensable de mettre en place des mécanismes de gouvernance transparents et rigoureux, tels que des règles strictes sur les conflits d’intérêts, une supervision indépendante des décisions économiques et financières, et des sanctions dissuasives contre les comportements abusifs. En parallèle, la promotion d’une culture de responsabilité et de transparence au sein des institutions publiques et des entreprises privées permettra de garantir que l’intérêt collectif prime sur les ambitions individuelles. Ainsi, le gouvernement du Mondial pourra maximiser les retombées économiques et sociales tout en limitant les risques de détournement.

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