Manifestations GenZ : Ce que nous révèle la coupe du monde 2030

Lorsque j’ai écrit mon premier article sur le kitsch marocain que je rapproche de celui du communisme décrit par Milan Kundera dans L’Insoutenable légèreté de l’être, je n’imaginais pas que ma réflexion trouverait, et si rapidement, un écho chez une grande partie des marocains. Cela m’a sincèrement réconforté, car j’étais peut-être trop pessimiste sur ce sujet. Dans cet article (lire ici : https://chabablog.com/kitsch-marocain-legerete-existentielle/), j’explorais l’histoire du concept de kitsch, son usage dans le contexte communiste à Prague, et la manière dont Kundera en fait un outil critique. J’expliquais alors que, pour le Maroc, la Coupe du Monde ne doit pas devenir l’arbre qui cache la forêt, mais bien un moteur de transformation, un levier de développement, et non un frein.

À mes yeux, le kitsch politique marocain se traduit par une idolâtrie excessive des exploits nationaux, une exaltation collective qui nous détourne du véritable problème : l’absence de réformes structurelles profondes. Je me définis comme un « pro mesuré » de la Coupe du Monde, c’est-à-dire favorable mais lucide. Il est conditionné par une lecture critique de l’endettement qu’elle engendre et par la nécessité de garder en parallèle une attention prioritaire aux secteurs essentiels tels que l’éducation et la santé.

Dernièrement, et après la rénovation ou plutôt la reconstruction du stade Moulay Abdellah en 15 mois, les Marocains ont directement pensé à la population du Haouz affectée par le tremblement de terre de septembre 2023. Cela a suivi et mené généralement sur les réseaux sociaux à des passages vidéos et interventions d’influenceurs et lanceurs d’alerte, qui parlent de la situation catastrophique de quelques hôpitaux (voire de tous les hôpitaux publics), dont celui d’Agadir ou a commencé les premières manifestations. S’ajoute à cela la gestion politique catastrophique du pays. D’où le titre de mon article, car pour moi, la Coupe du Monde a finalement révélé la réalité du Maroc. L’infrastructure sportive y est, mais la réalité impose la vraie priorité : construire plutôt l’éducation et la santé du Maroc. Les chiffres et classements de celui-ci, les incivilités ainsi que la gestion des politiques publiques démontrent que ce chantier doit être aussi mené en priorité. Le rural ne doit pas être oublié non plus. Et dans le discours de Sa Majesté Mohammed VI, deux vitesses, et même plus, nous conduisent peut-être à nous brûler les ailes, un peu comme Icare. Icare qui, par excès de confiance dans la mythologie, a volé trop haut. Ses ailes n’ont pas suffi pour maintenir la croisière et ont brulé en côtoyant le soleil. 

De la même manière, le Maroc doit maintenir le cap fixé par son roi, mais avec un gouvernement capable de comprendre et d’orienter les grands chantiers vers le bon chemin. L’avenir du pays dépend surtout de sa capacité à transformer ses infrastructures sociales, éducatives et sanitaires en véritables piliers de développement. 

Tout cela a mené aux manifestations pacifiques qui ont eu lieu le weekend 27/28 septembre dans toutes les grandes villes du Maroc accompagnés de quelques foyers dispersés dans les petites villes et villages. Ce mouvement pacifique simple issu à la base d’un groupe Discord mené par le groupe GenZ, veut juste rappeler que le citoyen doit être au centre des réformes et de l’infrastructure qui accompagne la coupe du monde.

Entendre parler de milliards investis dans un stade ne choque pas en soi ; ce qui choque, par pur bon sens, c’est que l’éducation et la santé ne bénéficient pas d’une part de ces ressources ou de considération prioritaire. C’est là que la situation devient choquante, inaudible et profondément aberrante.

En écrivant cet article à 4h du matin la soirée du samedi au dimanche, choqué par les vidéos et animé par une profonde déception face à l’usage de la force par les autorités. Je ressentais une déception envers les autorités d’un côté et une fierté et un optimisme envers ma génération de l’autre. Génération qui est sorti pacifiquement, porteuse d’un message de paix et d’unité nationale; un message d’ailleurs que le gouvernement a échoué à communiquer. Ce qui n’est pas surprenant, puisqu’il ne semble ni pouvoir/vouloir/savoir communiquer. Le gouvernement a choisi de communiquer d’ailleurs 4 jours après le début des manifestations, avec un simple communiqué; chose que je considère une faute politique de communication flagrante. 

La jeunesse marocaine ne réclame ni désordre ni instabilité, elle exprime simplement un message clair : elle est là, elle observe, et elle demande des hôpitaux et des écoles. Est-ce devenu interdit d’exprimer une opinion démocratique et constitutionnelle, motivée uniquement par l’amour du pays et la volonté de son développement ? Ce message pacifique a pourtant été interrompu par la répression policière, ce qui n’a fait qu’aggraver la situation. En effet, Il est nécessaire de parler et d’exprimer ses frustration en restant pacifique. 

Le gouvernement avait pourtant l’occasion, le week-end dernier, de transformer cette mobilisation en opportunité de réconciliation, mais il a préféré la confrontation. C’est une erreur politique et stratégique majeure. S’il avait accepté le dialogue dès le premier jour, il aurait nourri l’espoir, alors que la violence n’a fait que plonger le pays dans des affrontements que je condamne des deux côtés. Cette répression produit l’effet inverse et installe un sentiment d’irréversible point de non-retour.

Je tiens quand même à saluer les forces de l’ordre, dans un second temps à partir du mardi 30 septembre, car elles ont compris que l’encadrement et la gestion des manifestations doivent se faire en collaboration avec ces derniers. Car finalement, c’est grâce à cette autorité qu’on a évité et qu’on évitera de futurs débordements, et qu’on pourra gérer les prochaines étapes, où plusieurs personnes, groupuscules et mouvements de mauvaise intention interne ou externe au Maroc peuvent rejoindre le groupe GenZ anonyme. C’est pour cela qu’il faut absolument faire attention. Les renseignements ainsi que les autorités sont d’ailleurs les seuls qui pourront faire rempart à toute possibilité d’ingérence. Finalement, le but est commun.

Dans ce sens aussi, je tiens aussi à insister sur un point essentiel, il est indispensable que Genz se coordonne et s’organise autour de représentants légitimes à mon avis. Cela permettrait de donner un visage clair au mouvement, de le protéger des amalgames et d’empêcher toute récupération par des individus ou des groupes qui chercheraient à détourner ses revendications de l’intérêt national. Car si nous (jeunes) sommes descendus dans la rue, c’est avant tout pour la paix, la dignité et la justice. Or, il serait tragique que ce message soit entaché par la violence. Je condamne fermement les violences policières, mais aussi celles de certains manifestants, car le droit à la manifestation ne peut en aucun cas justifier des actes contraires à l’esprit pacifique du mouvement. La noblesse d’une cause ne doit pas être salie par des dérives qui ne servent personne.

Il est donc urgent de trouver une solution d’apaisement entre manifestants et forces de l’ordre. Pour cela, la structuration du mouvement est nécessaire : des représentants connus permettraient d’éviter la paranoïa généralisée des forces de l’ordre qui fait percevoir chaque citoyen comme un danger potentiel. De leur côté, les autorités doivent contribuer à instaurer un climat de confiance, en aidant le mouvement à transmettre ses revendications dans un cadre pacifique et propice au dialogue. Car l’avenir du pays ne doit pas reposer sur un rapport de force permanent, mais sur le respect mutuel, l’écoute et la conviction que la démocratie marocaine ne peut grandir que si chacun accepte de tendre la main à l’autre.

Quels sont les solutions pour moi ? C’est très difficile d’y répondre, surtout que nous n’avons pas de baguette magique pour résoudre ces problèmes complexes. Mais pour moi, et comme évoqué, je crains que nous ayons atteint le point de non-retour avec le gouvernement actuel. Une élection anticipée avec une démission du gouvernement serait une issue. Le roi ne peut pas dissoudre le gouvernement constitutionnellement, mais il pourrait activer la dissolution du parlement, ce qui provoquerait un remaniement avec, peut-être, une période transitoire. Cela va peut-être nous épargner une année qui s’annonce très compliquée pour les partis de la majorité (RNI, PI et PAM). Leur mandat a été un échec et ils doivent sortir pour éviter le pire.

La prochaine date importante est le vendredi 10 Octobre, car celle-ci correspondra au discours du roi à l’ouverture de la saison législative de la dernière année de l’exercice du gouvernement Akhannouch. Je prédis un discours tranché et très critique envers ce gouvernement, mais j’ai très hâte de voir comment cela va se passer. Plusieurs analystes prédisent que ce n’est qu’une question de jours avant la démission du gouvernement. Mais, en analysant les sorties médiatiques de Baytas et Ouahbi, je commence à hésiter, car ils semblent confiants dans leur capacité à résoudre et contenir la colère des Marocains et même un deuxième mandat.

Je constate aussi que des partis comme le PAM ont déjà commencé à faire campagne, via Mehdi Bensaid, numéro 2 du parti et actuel ministre de la Culture, et Fatima Ezzahra Mansouri secrétaire générale du parti et ministre de l’Aménagement et habitat ainsi que maire de MAarakech, qui a fait deux sorties publiques en mode mea culpa et reconnaissance des problèmes, tout en affichant une volonté de résoudre ce qui vient. Nous sommes maintenant devant une campagne anticipée, ce qui me fait penser que, peut-être, eux aussi prévoient une démission possible après le 10 octobre. Mais ce qui est sûr, c’est qu’à part la majorité actuelle, je reste tout de même très pessimiste et peu confiant quant aux opportunités et alternatives. D’ou un besoin réel de nouvelles personnes et partis politiques.

Outre cela, La tension dans les rues devra certainement s’apaiser avec, aussi, la libération de tous les participants aux manifestations pacifiques (non impliqués dans la destruction de biens publics), en incluant également les détenus du Rif. Cela enverrait un message de paix et donnerait un nouveau souffle à la démocratie marocaine.

Troisièmement, comme je l’ai évoqué dans mon article sur les conflits d’intérêts, il faut permettre aux instances indépendantes d’ouvrir des enquêtes sur les dossiers en cours et passés, afin de sanctionner la corruption et tout délit d’initié, soupçon de concurrence déloyale ou abus de pouvoir. Il est nécessaire de rétablir la confiance, et cela passe par des enquêtes et un renforcement des procédures anticorruption. Quel que soit le résultat de ces enquêtes, les Marocains seront apaisés.

En somme, tout cela pour moi n’est pas une opposition à la Coupe du Monde en soit, mais une réappropriation de son sens : faire en sorte que l’événement profite à tous les Marocains, non seulement par des stades flamboyants, mais surtout par une société plus juste, mieux soignée et mieux éduquée. C’est une manière de rappeler que l’orgueil et l’excès de confiance peuvent devenir dangereux, à l’image d’Icare dans la mythologie. Fasciné par son envol, il a voulu s’élever trop haut, trop vite, jusqu’à se brûler les ailes et chuter.

Si nous ne renforçons pas l’éducation, la santé et la justice sociale avec la même intensité que nos stades, nous risquons de voler trop haut, grisés par le prestige, mais fragilisés à l’intérieur.

Ainsi, la véritable victoire ne se jouera pas seulement sur les terrains en 2030. Elle se jouera dans les écoles, dans les hôpitaux, dans les villages reculés et dans la confiance retrouvée entre citoyens et institutions. C’est là que se décidera si le Maroc saura maintenir son vol, ou s’il prendra le risque d’Icare. 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *