Positionnisme VS Relationisme : les deux visions qui dominent le Football en 2025

« Tout ce que je sais de plus sûr à propos de la moralité et des obligations des hommes, c’est au football que je le dois. »

Cette formule d’Albert Camus, souvent utilisé pour rappeler la dimension humaine, éthique, philosophique et même managériale, conserve sa résonance intemporelle. Le football a toujours été pour moi une fenêtre ouverte sur la géopolitique, l’histoire et le management. Il est un véritable laboratoire de pensée, un espace où s’affrontent des visions du monde, de l’ordre et de la liberté. Le terrain est le théâtre de choix philosophiques, managériaux et culturels qui dépassent l’aspect sportif naif.

À l’ère de la data et de la standardisation tactique, deux écoles de pensée structurent désormais le débat footballistique mondial en 2025 : le positionnisme et le relationisme. Deux manières radicalement différentes de concevoir le jeu, l’organisation collective et le rôle de l’individu.

D’un côté, une vision orthodoxe (le positionnisme), fondée sur la maîtrise de l’espace, la structure préalable et la réduction de l’incertitude. De l’autre, une approche émergente, relationnelle et adaptative, qui mise sur les interactions humaines, l’intelligence distribuée et l’ordre spontané né du jeu lui-même.

Ce clivage tactique, reflète une opposition bien connue dans l’histoire des idées, celle qui oppose le protectionnisme au libéralisme. Le positionnisme, en cherchant à protéger le collectif par la structure, la discipline spatiale et le contrôle des flux, rappelle la logique des systèmes fermés, sécurisés, où l’ordre précède l’action. Le relationisme, à l’inverse, s’inscrit dans une confiance assumée envers la liberté encadrée, l’initiative individuelle et la capacité des acteurs à produire collectivement un ordre supérieur sans planification excessive.

Étudier le positionnisme et le relationisme en 2025, ce n’est donc pas simplement comparer des schémas de jeu. C’est interroger ce que le football dit de notre rapport contemporain à l’autorité, à la liberté, à la gestion des hommes et à la complexité. Comme le pressentait Camus, le football demeure un formidable révélateur des obligations morales et des responsabilités collectives. Et à travers ces deux écoles de pensée, il continue de poser une question centrale, aussi ancienne que le jeu lui-même : faut-il organiser l’ordre, ou lui faire confiance pour émerger? Entre Sacchi, Guardiola, Ancelotti et Bielsa, quels sont les paradigmes et doctrines qui influencent le football d’aujourd’hui? 

Partie 1 : Le relationisme

Le relationisme est une innovation tactique et une réaction esthétique face à la saturation des systèmes positionnels. C’est une philosophie du jeu, ancrée dans une logique intellectuelle qui rappelle les grandes traditions du libéralisme classique.

Le parallèle vient de la manière dont l’ordre est conçu, produit et légitimé dans des systèmes complexes.

Au cœur du libéralisme se trouve l’idée d’ordre spontané ou une organisation efficace peut émerger sans planification centrale, à partir des interactions individuelles, pour peu qu’elles respectent des règles simples et stables. Le relationisme transpose cette intuition au football. Là où le positionnisme impose une structure spatiale prédéfinie, le relationisme considère que l’organisation collective naît des relations entre joueurs, du ballon, de l’adversaire et du contexte immédiat.

Dans cette logique, l’espace n’est plus une donnée fixe mais une conséquence des interactions. Les positions deviennent des états transitoires. Le jeu cesse d’être l’exécution d’un plan pour devenir un processus de co-création permanente. Chaque joueur détient une information locale irremplaçable, liée à son angle de perception, à la pression subie, au timing disponible. Aucune consigne venue du banc ne peut rivaliser avec cette densité informationnelle.

C’est pourquoi le relationisme repose sur une confiance structurelle dans l’individu. Cette confiance s’appuie sur des principes simples comme jouer et se déplacer, créer des lignes de passe vivantes, attirer pour libérer, se rendre disponible plutôt que se figer. Ces règles définissent un cadre de liberté où les décisions émergent. Le résultat n’est pas prévisible dans le détail, mais il est cohérent dans l’ensemble.

Cette conception transforme le rôle de l’entraîneur. Dans une logique relationniste, il n’est plus un ingénieur qui optimise un système fermé, mais un architecte d’environnements et un facilitateur de relations. Son autorité repose sur la création des conditions où l’intelligence collective peut s’exprimer. Il accepte une perte de contrôle apparent pour un gain de réactivité, d’adaptabilité et de créativité.

Le recrutement privilégie la capacité à lire le jeu, à interagir, à interpréter des situations mouvantes. La polyvalence recherchée est cognitive et relationnelle.

Comme toute logique libérale, le relationisme comporte des risques : la liberté peut engendrer des déséquilibres si elle n’est pas accompagnée d’une forte maturité collective. Plus les joueurs sont libres, plus ils doivent être responsables. Plus l’entraîneur délègue, plus il doit être cohérent et crédible.

En définitive, le relationisme n’est pas une utopie tactique. C’est une réponse moderne à la complexité croissante du football. Dans un environnement saturé de données et de plans adverses, ce qui résiste le mieux à la prédictibilité n’est pas la structure, mais la qualité des interactions humaines. Le relationisme parie sur quelque chose de plus fragile, mais potentiellement plus puissant : la capacité des individus, correctement encadrés, à produire ensemble un ordre que nul plan ne pouvait prévoir. Carlo Ancelotti en est l’illustration parfaite. Son Real Madrid ne suit pas un plan figé ; il s’organise autour d’interactions fluides. Luis Enrique, au PSG, a lui aussi rompu avec la rigidité positionnelle pour favoriser des connexions intuitives, assumant que l’intelligence locale des joueurs dépasse toute consigne venue du banc. Sir Alex Ferguson, avait compris que la force d’une équipe réside dans la liberté encadrée : fixer une intention, puis laisser l’imagination s’exprimer. Walid Regragui a transposé cette logique à l’échelle d’une sélection. a son tour, Santiago Solari a privilégié la cohérence relationnelle à la rigidité tactique et avait créé (même en ayant un court passage au Real) une unanimité exceptionnelle du banc mais sans résultat. Tandis que Xabi Alonso, à Leverkusen, a incarné une version raffinée de ce pari. Brighton sous Graham Potter et l’Ajax de Ten Hag ont également montré qu’une structure peut accueillir la magie, dès lors qu’elle ne prétend pas la remplacer. (alors qu’ils sont tous deux très dogmatiques)

Partie 2 : Le positionnisme

Le positionnisme, tel que brillamment analysé par Jamie Hamilton dans son article The Positionist, (https://medium.com/@stirlingj1982/the-positionist-5af49c787cb0 ) commence par une ontologie de l’espace. Hamilton met en lumière la rupture opérée par Arrigo Sacchi : pour lui, l’espace n’est pas une perception mouvante mais une entité statique, mesurable, comparable à un plan industriel. Il le conçoit comme une ressource à organiser méthodiquement, un « vide fini » à remplir selon des schémas préétablis. De là découle un second postulat : l’espace devient la référence primaire de la décision. Sacchi lui-même le confirme : « Nos joueurs avaient quatre points de référence : le ballon, l’espace, l’adversaire et le coéquipier. Chaque mouvement devait se décider en fonction de ces repères. » Cette hiérarchie consacre l’espace comme principe organisateur et fait du positionnisme une véritable ingénierie du jeu. Hamilton, par la clarté de son propos, offre sans doute l’une des lectures les plus fines de cette philosophie, et j’ai pris un réel plaisir à explorer son travail ainsi que d’autres analyses qui éclairent ce débat. (lire plus dans son blog ici : https://medium.com/@stirlingj1982 )

Cette logique protectionniste s’inscrit dans une histoire longue de la modernisation du football. Ses racines remontent au football total des années 1970, lorsque Rinus Michels (Maitre du football total ) et l’Ajax, puis la sélection néerlandaise, affirment qu’on peut permuter à condition de préserver une occupation rationnelle du terrain. Le mouvement est autorisé, mais sous contrainte d’équilibre spatial : l’espace devient une ressource stratégique à exploiter méthodiquement. La formalisation radicale intervient avec Arrigo Sacchi au Milan des années 1980. Le collectif devient une synchronisation de lignes : distances mesurées, blocs qui montent et reculent à l’unisson, zones fonctionnelles assignées. L’ordre précède l’action, le système encadre l’intuition ; le joueur agit moins selon ce qu’il ressent que selon ce que le dispositif exige.

Héritier de Cruyff, Pep Guardiola pousse cette philosophie à son acmé au FC Barcelone (2008–2012) puis la propage au Bayern et à Manchester City. Le « jeu de position » y devient conquérant. Chaque zone garantit des distances, des triangles, des couloirs et des demi‑espaces disponibles. Le ballon circule pour déplacer l’adversaire, mais toujours à l’intérieur d’une architecture qui assure supériorité structurelle et contrôle des risques. La créativité s’exprime dans les interstices autorisés par la forme. Cette matrice irrigue l’Europe, inspire des entraîneurs comme Mikel Arteta, Julian Nagelsmann ou Thomas Tuchel, et infuse jusqu’aux académies  ou on forme des joueurs comme gestionnaires d’espaces, aptes à automatiser des repères, à presser dans des zones, à reproduire des patterns.

Marcelo Bielsa de son côté, incarne une forme d’ingéniosité radicale, à la fois obsessionnelle et visionnaire. Son football repose sur une préparation méticuleuse, des principes rigides via des marquages individuels, zones de couverture, synchronisation extrême, qui rappellent la logique protectionniste : ériger des barrières pour sécuriser l’ordre collectif et réduire l’incertitude.

On peut, pour finir, éclairer cette orthodoxie par une analogie avec le protectionnisme économique. Comme un État qui érige des barrières pour contrôler les flux et sécuriser son marché intérieur, le positionnisme verrouille l’espace, limite les zones d’incertitude et réduit la liberté non encadrée. Le système prime sur l’initiative, non par défiance envers le talent, mais par crainte de la désorganisation qu’une liberté excessive pourrait provoquer. D’ailleurs Guardiola peut tolérer les caprices de joueurs que quand ils réussissent, comme il l’a bien précisé après la passe décisive en Rabona de Rayan Cherki contre Sunderland début décembre. En effet, chaque joueur évolue à l’intérieur de frontières lisibles ; toute sortie de cadre est perçue comme un risque systémique. Cette prudence produit stabilité et résilience face aux chocs, mais tend aussi à homogénéiser les comportements et à ralentir l’innovation spontanée. En cherchant à se prémunir contre le chaos, le positionnisme (comme le protectionnisme) sacralise l’ordre existant et privilégie la sécurité collective à la prise de risque créative. C’est la raison de sa longévité institutionnelle, et la source, aujourd’hui, de sa contestation par des approches plus ouvertes et plus relationnelles qui entendent réintroduire de l’imprévu au cœur de l’intention.

Conclusion :

Le duel entre positionnisme et relationisme est similaire à celui de la gauche et la droite. La gauche étant relationniste et la droite positioniste. Le positionnisme érige des cadres pour contenir le chaos, convaincu que la maîtrise précède la création. Le relationisme, lui, accepte l’incertitude comme matière première et parie sur la richesse des interactions humaines pour faire naître le sens. Deux visions du jeu, deux philosophies de l’organisation, deux manières d’affronter la complexité du réel.

Mais réduire le football à un objet d’analyse serait passer à côté de l’essentiel. Le football est une métaphore vivante de nos trajectoires personnelles et professionnelles. Comme Camus, je peux affirmer que ce que je sais de plus sûr c’est au football que je le dois. Car en observant les systèmes, en disséquant les tactiques, en étudiant les styles de management et les choix d’entraîneurs, j’ai appris à lire le monde autrement. Le football m’a offert un langage pour comprendre les dynamiques humaines, les rapports de pouvoir, la valeur de la discipline comme celle de la liberté.

Les trajectoires des joueurs et des entraîneurs ont nourri ma propre réflexion sur la carrière. Elles m’ont appris qu’il faut parfois accepter d’être un héros local, et parfois comprendre la richesse d’un rôle de remplaçant dans un collectif plus grand que soi. Elles m’ont enseigné que la patience peut être une stratégie, que l’humilité peut précéder l’impact, et que la responsabilité est le prix à payer pour toute forme de liberté. Le terrain m’a montré que la créativité ne s’oppose pas au cadre, mais qu’elle naît souvent dans ses interstices.

Étudier les stratégies d’équipe, les méthodologies de recrutement, les modèles de leadership et les trajectoires individuelles m’a fourni une véritable grammaire pour penser ma propre carrière. Chaque décision professionnelle est devenue une lecture du jeu : faut-il occuper l’espace existant ou en créer un nouveau ? Faut-il s’inscrire dans une structure ou provoquer une relation ? Faut-il sécuriser ou oser ? Comme sur un terrain, la carrière est une succession de micro-choix où l’on arbitre sans cesse entre ordre et improvisation.

Aujourd’hui, lorsque je regarde un match. J’y vois des philosophies en mouvement, des leçons de management, des métaphores de vie. J’y vois la tension féconde entre le plan et l’invention, entre la discipline et la liberté. Et je comprends, plus que jamais, pourquoi Camus avait raison. Le football est une école exigeante parfois mais profondément humaine. Une école qui a façonné mon regard, mes convictions, mon style de management et, finalement, le consultant et la personne que je suis devenu.

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